Documentaires

Sanders sur Dordogne

En 2005, Christophe Dupuis et Sébastien Gendron tournent ensemble Sanders-sur-Dordogne, un documentaire de 52 minutes sur l’auteur Louis Sanders et sa région d’adoption.

SANDERS-SUR-DORDOGNE

Il faut se rendre à l’évidence lorsqu’on referme avec regret le troisième et dernier roman de Louis Sanders : rares sont les auteurs qui imprègnent autant les lieux dans lesquels ils installent leurs actions. On aurait pu dire « s’imprègnent » mais avec Sanders, il semblerait qu’on puisse inverser le flux. Je ne risque donc rien à le dire : Sanders imprègne la Dordogne. Tout comme la communauté anglaise qui peuple ses trois opus imprègne de leurs britannismes ce terroir si franchouillard. A lire l’un derrière l’autre « Février », « Comme des hommes » et finalement « Passe temps pour les âmes ignobles», on serait tenté de ré-imaginer cette Dordogne que quelques milliers de cartes postales, un bon syndicat d’initiative et deux ou trois amis parisiens à résidences secondaires ont tenté de nous cacher: Une campagne froide et austère, boisée jusqu’à l’étouffement, au fond de laquelle des habitants hors d’âge vivent dans la boue ou confissent dans leur richesse mal acquisse.

La Dordogne de Sanders.

Deux mois d’été, dix mois d’attente.

Sanders, c’est un peu la tradition provinciale Simenon et le glauque proverbial Boileau-Narcejac mâtiné de Christie et de Hitchcock dont on aurait fait une sorte de confiture amère, qu’on aurait posé sur une étagère et puis qu’on aurait ressortie une décennie plus tard, juste pour voir comment ça avait moisi et ce qui avait poussé sous la couche de paraffine. Les personnages de Sanders vous paraissent vivants et cette impression persiste entre vingt et trente pages. Des anglais à la peau dure qui ont quitté une Albion adorée mais trop dispendieuse, pour squatter la campagne française sempiternellement hostile mais tellement plus abordable. Les Anglais de Sanders, pour diverses raisons la plupart du temps économiques, n’ont pas la liberté de rentrer en Angleterre après les fabuleux mois d’été qu’offre cette Dordogne. Les Anglais de Sanders oublient chaque année sous le dard solaire d’août et de juillet, qu’on appelle aussi cette campagne le Périgord Noir. Et quand tombent les premières gouttes d’Octobre dans le Nontronnais, l’endroit retrouve des aspects lugubres que ce romancier anglophile exploite jusqu’à l’agonie.

A chacune des pages, le style si détaché de Sanders – même lorsque l’anglais au nom imprononçable de « Février » prend la narration – nous trimballe, l’air de rien, au long d’un boyaux noueux qui peu à peu se contracte jusqu'à étouffer d’abord le lecteur, puis constriction de l’intrigue, ses personnages. Ce si joli petit couple de « Comme des hommes ». Ce si attendrissant enquêteur de pacotille de « Février ». Ces si bons notables de « Passe temps pour les âmes ignobles » sont autant de fausses pistes, de mauvaises fréquentations, d’habiles amitiés de passage dont on se souvient, plus tard, quand on raconte un fait divers, en se faisant la réflexion idiote : c’était un bouquin de Sanders ou j’ai lu ça dans Sud Ouest ?

Mais les faits-divers de Sanders sont identifiables entre mille. Sous la couche poreuse du fait brut, il y a toute la fabrication d’une bonne catastrophe rurale. D’extraordinaires cataclysmes même, tant le développement de l’avant vous saisit à la gorge. Dans « Comme des hommes », la première page est consacrée à la découverte de trois cadavres. Dans la seconde, on rencontre les deux premiers quelques années auparavant. Et puis on les suit pendant plus de cent autres sans qu’il ne se passe grand chose de très « policier ». Juste des craquelures qui se fissurent et creusent lentement un fossé entre un homme et une femme, une communauté et une autre. Dans « Février » c’est le paysage qui se délite sous nos yeux jusqu’à l’effondrement total. Les maisons se percent. Les creux se remplissent de boues au fond desquelles glissent des hommes rendus bestiaux par des vies imprononçables et un type s’acharne à tromper l’ennui saisonnier avec la plus morbide des occupations : se persuader que les morts récentes ne sont pas dues à des accidents. Dans « Passe Temps pour les âmes ignobles » un roman fait des ravages dans une partie de la communauté anglo-dordonnaise que Sanders avait jusque-là épargnée: les bourgeois. Il n’en faut pas davantage pour que ces nobliots engourdis par des années de frustration et trop de lectures, sortent les armes et se livrent à une partie inversée de Dix Petits Nègres.

Il faut donc se rendre à l’évidence. Sanders imprègne bien la Dordogne de ses histoires anglaises qui n’ont pas leur place de l’autre coté de la Manche. Ici, dans la Dordogne sandersienne, le paysan français est affable quoique gouailleur mais guère plus alcoolique que le londonien bon teint ou le rougeaud local du Gloucester. Le reste, ce qu’il y a derrière l’un ou l’autre, tient dans une cartouche chargée au plomb de 12, dans le manche d’une masse ou dans la tranche d’un roman délibérément délateur. Rien qui n’appartienne pas à l’humanité en général. Rien qui ne soit un bon alibi pour aller occire le voisin, de quelque nationalité qu’il soit. Et oui, parce que la Dordogne de Sanders a cela de particulier : elle n’est jamais xénophobe. Un obstacle y est traité comme un obstacle, quelque soit la langue qu’il parle, les manières qu’il a ou sa capacité à boire raide.

Sébastien Gendron

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